Une prise en charge globale qui commence avant la consultation
Si l’on aborde un patient sur le plan micronutritionnel, et si l’on suit la méthode préconisée par la SSM et l’Institut européen de diététique et de micronutrition (IEDM) basé à Paris, des questionnaires sont envoyés par e-mail avant la consultation. Deux questionnaires principaux sont adressés : le premier concerne la manière dont le patient se nourrit (le QAF ou questionnaire alimentaire fonctionnel) et un questionnaire de santé (ou QMS pour questionnaire médical de santé).
Figure 5.
Questionnaires de micronutritionhttps://www.ssm-sgm.ch/page/questionnaires
Questionnaires adressés au patient avant une consultation de micronutrition. Il existe un questionnaire qui interroge le patient sur sa manière de se nourrir : le QAF, pour questionnaire alimentaire fonctionnel. Le deuxième questionnaire est le QMS, pour questionnaire médical de santé, qui, comme son nom l’indique, évaluera l’état de santé général du patient.Il est intéressant de constater que si vous demandez à quelqu’un s’il s’alimente bien, il vous répondra oui dans 80 % des cas. Et pourtant, bien souvent le patient est devant vous car il présente une maladie qui le conduit à consulter. Si on est d’accord avec le fait que la manière de nous alimenter est un élément clé dans la genèse des maladies (« Que ton aliment soit ta seule médecine », Hippocrate), cela peut vouloir dire deux choses : soit le patient ne se rend pas compte qu’il s’alimente mal, soit, malgré une alimentation de qualité, le bénéfice de cette juste attitude n’est pas obtenu au niveau homéostasique. Pourquoi ? Car le terrain de ce patient présente des déficits multiples et/ou son microbiote est altéré.
Comprendre le terrain du patient : une étape indispensable
Après avoir utilisé cette méthode avec plusieurs patients, il est étonnant de constater que certains d’entre eux se nourrissent plutôt bien et présentent pourtant un syndrome métabolique ou des maladies chroniques. Pourquoi ? Parce que leur microbiote a été modifié. Le microbiote de ces patients est devenu anormal plusieurs années auparavant à la suite d’un déséquilibre alimentaire prolongé, de la prise récurrente d’antibiotiques sans correction post-traitement par des probiotiques, ou d’un stress chronique qui peut en quelques semaines transformer définitivement le microbiote.
Les causes de modifications du microbiote sont nombreuses et ne sont probablement pas toutes identifiées à ce jour. Pour ces patients, malgré une nourriture mieux adaptée, leur microbiote n’a pas retrouvé son état normal et ne leur permet donc pas de bénéficier de sa bonne alimentation.
Le rôle des bilans sanguins
Des bilans sanguins à la recherche de dysfonctionnements ou de déficits multiples en rapport avec la micronutrition sont organisés selon plusieurs chapitres : maladies cardiovasculaires et inflammation, stress oxydant et nutrition, allergies et intolérance, statut endocrinien, écosystème intestinal, neurologie et psychiatrie, statut gynécologique, dermatologique, bilan infectieux et recherche de marqueurs oncologiques.
Changer de narratif avec le patient
Docteur, je viens vous voir pour mes yeux et vous me parlez de digestion et de micronutrition ? Changer le narratif et expliquer au patient le lien entre son alimentation, l’altération de son microbiote et de la perméabilisation de la paroi du tube digestif entraînant une inflammation chronique de bas grade, pouvant être à l’origine des maladies auto-immunes à manifestation ophtalmologique comme une sécheresse oculaire ou une inflammation de la surface oculaire. Ce mécanisme n’explique évidemment pas toutes les inflammations de la surface oculaire mais il est un des éléments clés.
Premières étapes : régimes d’exclusion et supplémentations
Il est possible de prescrire un traitement per os non spécifique associé à un traitement local. Il existe pour cela des ordonnances types. Avec le temps, la complexité d’une telle prise en charge peut être progressivement abordée.
Il est possible de conseiller un régime alimentaire OFF/ON avec exclusion d’un aliment spécifique comme le gluten (pro-inflammatoire), les laitages (engluants et acidifiants) ou les sucres de synthèse (acidifiants et impactant fortement la flore digestive).
Concernant le gluten, nous connaissons la maladie cœliaque qui est clairement identifiée par la présence d’anticorps anti-transglutaminase, mais nous connaissons moins les manifestations extra-intestinales de la sensibilité au gluten non cœliaque. Parmi les maladies identifiées, le syndrome de Sjögren est listé dans les pathologies qui pourraient bénéficier d’un arrêt du gluten. Selon l’article cité, la force de la preuve est de niveau 4 sur l’échelle d’Oxford allant de 1 à 4 ; 1 étant la force de la preuve la plus élevée.
Travailler en réseau : une nécessité pratique
Nos journées déjà chargées par notre pratique quotidienne ne nous permettent pas, sauf choix personnel, de prendre en charge nos patients selon cette méthode. Une première consultation de micronutrition dure en moyenne 60 minutes. Quand organiser une telle activité dans une pratique déjà surchargée ?
Pour mettre en œuvre cette méthode, il est nécessaire d’être convaincu de cette manière d’aborder un patient touché par une maladie chronique de la surface oculaire, mais plus que cela, il faut faire partie d’un réseau de soins capable d’assumer une telle approche.
La formation des praticiens
Se former dans le domaine de la micronutrition : en France, la pratique de la micronutrition se développe depuis de nombreuses années, avec la possibilité pour les médecins intéressés ou les soignants de toute origine, de suivre des Diplômes d’études approfondies (DES) de haut niveau.
À partir des années 1990, de nombreux médecins ont collaboré avec des nutritionnistes et des biologistes, et des chercheurs issus de plusieurs horizons ont uni leurs connaissances spécifiques en lien avec la diététique, les compléments alimentaires, le microbiote et l’écosystème intestinal. Le concept de micronutrition a ainsi été formulé et a conduit à la création de l’IEDM, actuellement présidé par le Dr Didier Chos.
Le monde du sport de haut niveau est aussi très intéressé par cette manière de faire et en France, le Dr Denis Riché, ancien sportif de haut niveau, a été l’un des promoteurs de cette approche qu’il a utilisée pour aider des équipes devant participer aux Jeux olympiques.
Conclusion
Dans ma pratique, je ne propose évidemment pas ce type d’approche à tous mes patients mais seulement à ceux présentant une pathologie chronique et seulement après un suivi prolongé. Je collige depuis plusieurs années les patients rapportant une amélioration de leur qualité de vie lors de traitements associant un traitement local et une supplémentation systémique ou un régime d’exclusion.
Chercher à améliorer la santé du patient est une démarche beaucoup plus hasardeuse que chercher à traiter les symptômes d’une maladie chronique. Cependant, les deux approches se complètent : traiter un symptôme aidera nos patients à court terme, mais aborder la guérison demande de s’intéresser à l’ensemble de l’écosystème du patient. Cette complexité nécessite une succession de propositions thérapeutiques dont l’ordre dépend de chaque patient.
À mon sens, la médecine de demain devrait envisager les associations de connaissances provenant de plusieurs champs de savoir, avec comme objectif l’amélioration du fonctionnement chimique et biochimique du patient. Cette manière d’envisager les maladies chroniques de la surface oculaire relie la différenciation terminale des épithéliums, l’inflammation chronique, le microbiote, et les approches thérapeutiques fondées sur la micronutrition.
Une série d’articles pour mieux comprendre le lien entre micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire
Cette série d’articles est issue de la publication « Micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire » du Dr François Majo consacrée aux liens entre nutrition, microbiote et maladies chroniques de la surface oculaire. Elle explore étape par étape la manière dont notre alimentation, notre microbiote, notre environnement biologique et nos habitudes de vie influencent directement la santé de nos yeux. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble des articles de la série, ainsi que la publication scientifique originale qui sert de référence.
- La surface oculaire, un miroir du corps et une nouvelle compréhension clinique
- Pourquoi les larmes deviennent inflammatoires et quels facteurs déclenchent la sécheresse oculaire
- Comment vos yeux se régénèrent et qu’est-ce qui fait vraiment changer la surface oculaire
- L’axe intestin–œil et comment une flore déséquilibrée peut déclencher des problèmes oculaires
- Ce que montrent réellement les études sur les compléments alimentaires et la santé oculaire
- Comment le film lacrymal, le microbiote et la vitamine A protègent vos yeux de la sécheresse
- Comment mettre en pratique la micronutrition pour traiter les maladies chroniques de la surface oculaire
