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Comment vos yeux se régénèrent et qu’est-ce qui fait vraiment changer la surface oculaire ?

Comprendre le renouvellement de l’épithélium de la cornée

Les cellules épithéliales sont en renouvellement constant, elles sont une « usine » biochimique et une couche de protection de la surface oculaire. La surface oculaire est recouverte de deux épithéliums, l’épithélium conjonctival et l’épithélium de la cornée. Le premier est constitué d’un deuxième type de cellules appelées cellules à mucus qui permettent de sécréter un des composants du film lacrymal. L’épithélium de la cornée est un élément clé de la vision car son bon fonctionnement est absolument nécessaire à une bonne vision.

La compréhension du renouvellement de l’épithélium de la cornée a généré d’intenses recherches durant les quarante dernières années et plusieurs modèles de renouvellement se sont succédés.

Le modèle actuellement utilisé repose sur le dogme des cellules souches au limbe. Selon ce modèle, toutes les cellules souches épithéliales de la cornée, toutes sans exception, sont issues du limbe et de ses cryptes. En d’autres termes, sans cellules souches au limbe, pas de cornée normale.

Figure 1.
Histoire du renouvellement de l’épithélium de la cornée.

Histoire du renouvellement de l’épithélium de la cornée.

Depuis la moitié du siècle précédent, plusieurs modèles de renouvellement ont été proposés. Aujourd’hui, le modèle retenu dans les textbooks est fondé sur la localisation, sans exceptions, de toutes les cellules souches épithéliales de la cornée au limbe. Leur déficience ou leur absence expliquerait le changement de différenciation terminale de l’épithélium de la cornée. Dans ce modèle, l’environnement dans lequel les cellules épithéliales de la cornée évoluent (composition biochimique des larmes et de la matrice, inflammation) n’aurait qu’une importance accessoire.

Un autre modèle propose que l’environnement soit l’élément clé et que son équilibre homéostasique soit absolument nécessaire pour permettre une différenciation normale des épithéliums de la surface oculaire. Dans ce modèle, l’épithélium de la cornée ne peut pas être normal si la matrice ou le stroma cornéen sont anormaux et/ou si la composition biochimique des larmes est anormale. La différenciation terminale des cellules épithéliales cornéennes est alors le produit de l’équilibre de cet environnement.

Après dix années de travail en recherche fondamentale, il a été proposé qu’il existait des cellules souches épithéliales sur l’ensemble de la surface oculaire, dont la cornée centrale, et que la différenciation terminale des épithéliums de la surface oculaire était contrôlée par l’environnement biochimique dans lequel les cellules se renouvelaient.

Différenciation normale des épithéliums

Figure 2.
Différenciation terminale normale de l’épithélium de la peau, de la conjonctive et de la cornée.

 

La différenciation terminale des cellules épithéliales dépend plus de l’environnement dans lequel elles évoluent (« leur milieu de culture ») que des gènes qui les constituent et qu’elles expriment. En d’autres termes, la différenciation terminale des cellules épithéliales est le résultat de l’interaction des cellules de la surface oculaire avec le milieu biochimique dans lequel elles évoluent.

Des expériences ont montré que l’épithélium adulte de la cornée pouvait changer radicalement de différenciation en fonction de signaux environnementaux. Cela illustre la plasticité des cellules épithéliales et renforce l’importance du microenvironnement.

Différenciation anormale : conjonctivalisation, kératinisation et changement de phénotype

Dans la pratique clinique, des changements de différenciation terminale des épithéliums de la surface oculaire sont régulièrement observés. Ils sont la conséquence directe d’un environnement biochimique altéré.

Figure 3.
Différenciation terminale anormale de l’épithélium de la cornée.

Conjonctivalisation de la cornée : l’épithélium de la cornée acquiert des caractéristiques de la conjonctive. Selon le modèle traditionnel, l’absence de cellules souches au limbe expliquerait ce changement de phénotype. Dans le modèle environnemental, ce changement s’explique par une néovascularisation du stroma cornéen et/ou une inflammation chronique de la surface oculaire.

Kératinisation : l’épithélium de la cornée se transforme en épiderme et devient squameux. Dans ce cas, le modèle des cellules souches ne suffit plus. Le changement est lié à une sécheresse oculaire sévère et/ou à un déficit en vitamine A, associé à une modification profonde du microenvironnement.

Si l’inflammation chronique se prolonge durant plusieurs années, une carcinogenèse peut apparaître, particulièrement dans les zones comportant des cellules épithéliales à cycle lent comme le limbe ou le bord des paupières.

Figure 4.
Tableau des différentes voies de différenciation terminale en cas de stress biologique chronique.

Cette figure illustre les voies possibles : différenciation normale, conjonctivalisation, kératinisation, dysplasie ou carcinogenèse, selon l’intensité et la durée des altérations du milieu.

Pourquoi le microenvironnement est la clé

Selon ces informations, on comprend aisément l’intérêt de modifier le microenvironnement biochimique dans lequel les cellules épithéliales se multiplient et évoluent. Il est important de réguler l’inflammation chronique, qui est une « force » biochimique pouvant conduire à la métaplasie d’un épithélium, voire à une carcinogenèse.

La nutrition et la micronutrition constituent une des voies possibles pour changer la biochimie de la surface oculaire et restaurer un environnement compatible avec une différenciation normale.

Conclusion

La différenciation terminale des cellules qui constituent les épithéliums de la surface oculaire est régulée par le milieu dans lequel elles évoluent. Si ce milieu est altéré — inflammation, sécheresse, déficit en vitamine A, modification biochimique des larmes — les épithéliums changent de nature. Comprendre ces mécanismes ouvre la voie à une prise en charge globale intégrant la micronutrition, afin de restaurer l’équilibre du microenvironnement oculaire.

Une série d’articles pour mieux comprendre le lien entre micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire

Cette série d’articles est issue de la publication « Micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire » du Dr François Majo consacrée aux liens entre nutrition, microbiote et maladies chroniques de la surface oculaire. Elle explore étape par étape la manière dont notre alimentation, notre microbiote, notre environnement biologique et nos habitudes de vie influencent directement la santé de nos yeux. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble des articles de la série, ainsi que la publication scientifique originale qui sert de référence.

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