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La surface oculaire, un miroir du corps et une nouvelle compréhension clinique – 1/7 Série microbiote et sécheresse oculaire

Introduction

Les maladies chroniques de la surface oculaire comprennent deux grands groupes de symptômes : les inflammations chroniques, quelle que soit leur origine (allergies, blépharites, maladies inflammatoires ayant une spécificité immunologique ou non) et les sécheresses oculaires, qui ont aussi une composante inflammatoire. Pourquoi les sécheresses et pas la sécheresse ? Car il existe plusieurs types de sécheresses oculaires. Celles en lien avec un excès d’évaporation des larmes et celles en lien avec un manque de débit des larmes, manque qui peut être primaire (insuffisance de sécrétion des larmes par la glande lacrymale) ou secondaire à une hypoesthésie par exemple ou toute autre altération de l’arc réflexe responsable de la sécrétion continue des larmes.

Quand il existe une inflammation de la surface, elle peut être primaire, en lien avec une immunité non régulée (allergie ou auto-immunité) ou avec une altération de la qualité des larmes qui deviennent biochimiquement inflammatoires (larmes acides, larmes riches en cytokines ou prostaglandines, larmes ayant une osmolarité augmentée, larmes ayant une couche lipidique altérée induisant une évaporation excessive et un frottement irritant, larmes ne protégeant plus la surface oculaire par leur absence…). L’ensemble de ces altérations fait le lit de l’inflammation chronique.

Concernant la composition biochimique des larmes, il est dit aux patients que « leurs larmes ne tombent pas du ciel » et que leur composition est le résultat d’un processus complexe initié dans leur alimentation : la manière dont l’alimentation est transformée par le tube digestif et les 2 ou 2,5 kg de bactéries composant le microbiote, véritable organe vivant en symbiose avec nous. Cette belle mécanique peut dysfonctionner à différents niveaux et modifier la composition des larmes.

Dans ce cas, les traitements locaux peuvent traiter les symptômes, mais si l’on regarde les résultats obtenus au long cours : ils ne sont pas très convaincants. Les patients reviennent car leurs symptômes persistent. Une conviction apparaît : il existe d’autres clés de compréhension pour aborder ces pathologies chroniques de la surface oculaire.

Pourquoi la micronutrition apporte une nouvelle compréhension des maladies de la surface oculaire

La micronutrition étudie l’impact des vitamines, minéraux, oligoéléments, acides gras essentiels et acides aminés sur le fonctionnement de l’organisme. Elle cherche aussi à identifier les aliments pouvant irriter l’organisme ou modifier la flore digestive.

Si la flore digestive est altérée ou dysfonctionnelle, elle peut augmenter la perméabilité digestive (« Leaky Gut Syndrome »), laissant passer des peptides et fragments bactériens dans le sang. Ces éléments deviennent sources d’antigènes et peuvent contribuer à de nombreuses pathologies inflammatoires chroniques.

Une flore altérée peut également modifier les appétences alimentaires, ce qui montre l’importance de « cultiver » une flore digestive individuelle et saine.

L’inflammation chronique « surconsomme » les micronutriments. Ainsi, même en mangeant correctement, des carences peuvent s’installer et participer aux maladies chroniques.

Selon la Société Suisse de Micronutrition (SSM), les objectifs de la micronutrition sont :

L’impact systémique de ces anomalies biologiques touche aussi les yeux. Les traitements locaux améliorent parfois les symptômes, mais ne corrigent pas la cause. Aborder la surface oculaire uniquement par le symptôme limite la compréhension et l’efficacité thérapeutique.

Pourquoi relier nutrition, microbiote et surface oculaire a un fondement scientifique solide

Les épithéliums conjonctival et cornéen sont en renouvellement constant. Leur différenciation terminale dépend plus de leur environnement biochimique (larmes, matrice, inflammation) que des gènes qu’ils expriment.

Des travaux ont montré que des cellules épithéliales de la cornée pouvaient changer de programme génétique et se différencier en peau selon leur environnement. Dans la pratique clinique, on observe :

Ces observations montrent l’importance capitale de modifier non seulement les cellules, mais surtout leur microenvironnement.

Le rôle du microbiote dans les maladies chroniques de la surface oculaire

De nombreuses publications relient dysbiose intestinale et maladies auto-immunes. Une étude montre que l’augmentation de la perméabilité intestinale est associée au syndrome de Sjögren primaire et à la sclérose en plaques, avec augmentation de la calprotectine fécale.

Dans un modèle murin de sécheresse oculaire, certains probiotiques améliorent le microbiote et augmentent indirectement le débit des larmes en modulant l’inflammation systémique.

Comprendre visuellement ce lien : microbiote → inflammation → surface oculaire

Figure 6.
Pourquoi parler de micronutrition en ophtalmologie ? comprendre les liens

Pourquoi parler de micronutrition en ophtalmologie ? comprendre les liens

Comprendre le lien entre micronutrition, microbiote, inflammation chronique ou stress oxydant chronique et anomalie de différenciation terminale des épithéliums de la surface oculaire.

Il s’agit d’une notion peu développée qui pourrait pourtant intéresser d’autres spécialités médicales car l’épithélium de la surface oculaire est une muqueuse comme l’épithélium oropharyngé, pulmonaire, digestif, gynécologique et urologique. Par ailleurs, la peau, qui est l’organe le plus lourd de notre organisme, est recouverte d’un épithélium appelé épiderme. Un tel modèle pourrait apporter des éléments de compréhension dans d’autres spécialités car 80 % des cancers sont d’origine épithéliale.

Conclusion

Les liens entre inflammation chronique, microbiote intestinal, stress oxydant et anomalies de la surface oculaire constituent un ensemble cohérent. Relier ces pièces permet d’envisager une prise en charge globale qui agit non seulement sur les symptômes (yeux secs, inflammations), mais aussi sur les causes systémiques profondes.

La micronutrition devient ainsi une approche incontournable pour comprendre et traiter les maladies chroniques de la surface oculaire, en modifiant l’environnement biochimique dans lequel évoluent les cellules épithéliales.

Une série d’articles pour mieux comprendre le lien entre micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire

Cette série d’articles est issue de la publication « Micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire » du Dr François Majo consacrée aux liens entre nutrition, microbiote et maladies chroniques de la surface oculaire. Elle explore étape par étape la manière dont notre alimentation, notre microbiote, notre environnement biologique et nos habitudes de vie influencent directement la santé de nos yeux. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble des articles de la série, ainsi que la publication scientifique originale qui sert de référence.

  1. La surface oculaire, un miroir du corps et une nouvelle compréhension clinique
  2. Pourquoi les larmes deviennent inflammatoires et quels facteurs déclenchent la sécheresse oculaire
  3. Comment vos yeux se régénèrent et qu’est-ce qui fait vraiment changer la surface oculaire
  4. L’axe intestin–œil et comment une flore déséquilibrée peut déclencher des problèmes oculaires
  5. Ce que montrent réellement les études sur les compléments alimentaires et la santé oculaire
  6. Comment le film lacrymal, le microbiote et la vitamine A protègent vos yeux de la sécheresse
  7. Comment mettre en pratique la micronutrition pour traiter les maladies chroniques de la surface oculaire
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