Interview du Pr François Majo, docteur en médecine et en sciences, spécialiste en ophtalmologie et ophtalmochirurgie, directeur médical du Centre Ophtalmologique de Lausanne, privat-docent à l’Université de Lausanne.
Comment Yosief a-t-il contracté le kératocône ?
Le frottement des yeux est le facteur principal à l’origine du kératocône. Dans sa prime enfance, Yosief n’avait pas pour habitude de les frotter pour « s’amuser », mais parce qu’il ressentait une gêne persistante. Cette dernière peut s’expliquer par la présence de larmes inflammatoires qui irritent la surface oculaire. Les frottements répétés déforment la cornée et génèrent un astigmatisme. Celui-ci peut initialement être corrigé par des lunettes, puis uniquement grâce à des lentilles de contact spéciales.
Si la déformation continue à évoluer, seule une greffe de la cornée peut améliorer le statut visuel.
Quel aurait été l’avenir de Yosief sans son transfert en Suisse pour y être opéré ?
Avec sa vision très basse, Yosief aurait été limité dans le choix d’une formation et d’un emploi, ainsi que dans son autonomie. À son arrivée en Suisse, sa vision de loin était déjà très réduite : 4 % pour l’œil droit et 32 % pour le gauche. Avec le temps, sa vision de l’œil gauche aurait aussi pu diminuer, car la greffe réalisée en Éthiopie présentait un risque élevé de rejet.
Il aurait donc pu devenir malvoyant.
Quel est le processus de convalescence après l’opération ?
Un traitement antirejet doit être administré localement pendant 18 à 24 mois. Au cours de cette période, il existe différents risques : rejet de la greffe, qui est toutefois rare la première année,
augmentation de la pression dans l’œil opéré et œdème de la macula ou partie centrale de la rétine. Pour surveiller ces complications potentielles, un suivi mensuel est nécessaire durant au moins une année.
Selon vous, en quoi La Maison de Terre des Hommes Valais joue-t-elle un rôle crucial dans le soutien à l’enfant après l’opération ?
Le geste chirurgical participe à 50 %, voire moins, de la réussite de la prise en charge. Par la suite, un accompagnement par une équipe spécialisée en greffe de cornée est crucial. Votre structure joue un rôle déterminant en accueillant les enfants à Massongex durant au moins six mois pour permettre ce suivi initial. En d’autres termes, réaliser une greffe de cornée et laisser la patiente ou le patient avec un protocole thérapeutique postopératoire de 18 mois sans suivi spécialisé conduirait dans un grand nombre de cas à la perte du greffon et à l’anéantissement des efforts déployés.
Vous prenez en charge bénévolement les enfants de La Maison présentant une pathologie ophtalmologique. Qu’est-ce qui vous motive à offrir votre temps et vos compétences ?
Ma motivation ne repose pas sur un retour direct des enfants. Je crois en l’effet « papillon ». Ce que j’ai fait pour Yosief, il le fera peut-être pour quelqu’un d’autre, et ainsi de suite. J’ai aussi l’espoir que cette démarche puisse inspirer d’autres personnes. Comme j’ai une importante activité clinique et chirurgicale, prendre en charge gracieusement deux ou trois patients par année
s’intègre finalement dans ma pratique globale. Une remarque cependant : la pauvreté existe aussi en Suisse, et elle ne doit pas être oubliée.
« Je crois en l’effet papillon. Ce que j’ai fait pour Yosief, il le fera peut-être pour quelqu’un d’autre, et ainsi de suite. »
L’histoire de Yosief
Depuis son arrivée, le jeune garçon s’est parfaitement intégré à la vie de la maisonnée. Il participe aux activités collectives, fréquente l’école de La Maison et se fait des amis. Le 28 juin, il a fêté son treizième anniversaire aux côtés de ses camarades, entouré de la bienveillance du personnel éducatif.
« Avant, tout était flou. Avant, c’était difficile d’écrire. Je devais me pencher, le visage collé sur ma feuille pour voir quoi que ce soit.
J’ai dû arrêter l’école il y a plusieurs mois pour me soigner. Maintenant, tout est différent. L’opération a changé ma vie ! »
Avec un visage rayonnant, le regard empreint de douceur, Yosief raconte la joie de cette renaissance visuelle, l’émerveillement ressenti face au monde qui l’entoure.
« Ici à La Maison, j’ai enfin pu retourner à l’école. Mais ce que j’aime le plus, ce sont les sorties qu’on fait.
Je découvre des paysages aussi magnifiques qu’uniques. »
Pour Yosief, la vue est un trésor inestimable qu’il a eu la chance de retrouver à l’aube de ses treize ans.