Ce que montrent réellement les études sur les compléments alimentaires et la santé oculaire

Pourquoi utiliser des compléments alimentaires en ophtalmologie ?

En ophtalmologie, les compléments alimentaires sont utilisés depuis de nombreuses années. L’objectif recherché est un effet antioxydant. La cataracte, dont l’origine principale est un vieillissement du cristallin lié à l’âge, est la conséquence d’un stress oxydant chronique comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Selon ces informations, lutter contre le stress oxydant apparaît comme un des objectifs du traitement préventif.

DMLA : que disent vraiment les études ?

Pour limiter l’évolution de cette maladie on utilise la lutéine, la zéaxanthine, les vitamines C et E comme antioxydants, le zinc et le cuivre comme cofacteurs des réactions enzymatiques, pour rééquilibrer les déficits en acides gras essentiels des oméga-3 (EPA et DHA), et on peut aussi prescrire des extraits de vigne (Vitis vinifera).

L’étude AREDS 2 compare quatre groupes présentant une DMLA, dont un groupe avec un placebo, un avec une supplémentation en oméga-3 (DHA et EPA), un avec une supplémentation en lutéine et zéaxanthine, et un associant l’ensemble des suppléments alimentaires. Quel que soit le groupe, il n’existe pas de ralentissement de l’évolution des DMLA avancées.

Une des premières études fondées sur un groupe représentatif de patients est la Blue Mountains Eye Study. Il s’agissait d’une étude transversale comparant des DMLA précoces et tardives avec la prise d’une diète antioxydante. Aucune différence significative n’avait été retrouvée dans les groupes avec compléments alimentaires et ceux sans compléments.

Une étude Cochrane récente rapporte une insuffisance de preuves concernant un effet préventif ou stabilisant si les patients présentant une DMLA bénéficient d’une prescription d’oméga-3, d’antioxydants, de vitamines et de compléments alimentaires.

Pourquoi continuer à prescrire des compléments s’il n’y a pas de consensus ?

La lecture de la littérature permet de conclure à une absence de consensus, car en utilisant la méthodologie scientifique médicale classique qui compare plusieurs groupes, la force de la preuve n’est pas apportée. Et pourtant, les compléments alimentaires sont prescrits à grande échelle pour prévenir ou limiter l’évolution de la DMLA.

Pourquoi ? Parce qu’il existe une logique biochimique qui supporte cette pratique : lutter contre le stress oxydant et l’inflammation de bas grade. De plus, un nombre non négligeable de patients, plutôt que de rentrer chez eux en attendant la perte éventuelle de leur vision centrale, souhaite agir et ne pas rester passifs. Prescrire des compléments alimentaires est alors une des options possibles.

D’autres auteurs évoquent le rôle possible de la dysbiose de la muqueuse buccale dans l’inflammation chronique locorégionale, dont les yeux et la progression de la DMLA.

Compléments alimentaires et cataracte

Une diète riche en antioxydants provenant d’aliments comme les fruits ou les légumes semble avoir un rôle protecteur en limitant le développement des maladies suivantes : cancers épithéliaux, pathologies cardiovasculaires, DMLA, cataracte et asthme. L’action antioxydante de la vitamine E et son intérêt dans les pathologies suscitées est évoquée mais aucun consensus n’est établi.

La lutéine et la zéaxanthine ont des propriétés antioxydantes. Elles sont présentes au niveau du pigment jaune de la rétine, particulièrement concentré au niveau de la macula, ce qui explique leur rôle clé dans la DMLA. Leur déficit pourrait aussi jouer un rôle dans le développement de la cataracte sénile et supplémenter un patient présentant un déficit aurait dans ce cas une légitimité.

Les polyphénols comme le resvératrol auraient aussi un rôle protecteur du cristallin et retarderaient le développement de la cataracte.

Uvéites et axe occulo-digestif

Les uvéites non infectieuses sont considérées comme des maladies auto-immunes et des études récentes ont étudié le lien possible entre ces pathologies et la dérégulation du microbiome intestinal. Une étude a testé avec succès l’effet immunomodulateur, et donc favorable, de deux probiotiques (Escherichia coli Nissle 1917 et E. coli O83 :k24 :H31) dans un modèle murin d’uvéite auto-immune expérimentale.

Compléments alimentaires et surface oculaire

Les déficits en vitamine A ont des conséquences directes sur l’épithélium conjonctival en diminuant la sécrétion de mucines, élément fondamental pour la stabilité du film lacrymal. La vitamine A est aussi un élément clé pour maintenir la trophicité des épithéliums.

L’amélioration des symptômes liés à la sécheresse oculaire par la prise d’antioxydants oraux est secondaire à l’amélioration de la stabilité du film lacrymal et de la qualité de l’épithélium conjonctival.

Les altérations du microbiote intestinal sont associées à de nombreuses pathologies auto-immunes, dont le syndrome de Gougerot-Sjögren primaire. Dans cette étude, les auteurs retrouvent un lien entre dysbiose et syndrome de Gougerot-Sjögren tant au niveau clinique que biologique, avec des signes d’inflammation gastro-intestinale.

Dans un modèle murin de sécheresse oculaire, la prise de certains probiotiques améliore le microbiote intestinal et augmente de manière indirecte le débit de sécrétion des larmes. Chez la souris, le volume des larmes est amélioré avec la prise de probiotiques anti-inflammatoires.

D’autres auteurs ont instillé un mélange de bactéries au niveau des larmes pour améliorer la flore locale, montrant une amélioration du Schirmer I et II et du Break-Up Time.

Conclusion

Les compléments alimentaires occupent une place importante en ophtalmologie, malgré des résultats cliniques contrastés dans la littérature. Leur utilisation se fonde sur une logique biochimique consistant à lutter contre le stress oxydant et l’inflammation chronique de bas grade, ainsi que sur la volonté des patients d’agir plutôt que d’attendre l’évolution naturelle de certaines maladies.

Les liens entre inflammation, microbiote, immunité et tissus oculaires renforcent l’intérêt d’intégrer la micronutrition dans une prise en charge globale, en complément des traitements oculaires classiques.

Une série d’articles pour mieux comprendre le lien entre micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire

Cette série d’articles est issue de la publication « Micronutrition et maladies chroniques de la surface oculaire » du Dr François Majo consacrée aux liens entre nutrition, microbiote et maladies chroniques de la surface oculaire. Elle explore étape par étape la manière dont notre alimentation, notre microbiote, notre environnement biologique et nos habitudes de vie influencent directement la santé de nos yeux. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble des articles de la série, ainsi que la publication scientifique originale qui sert de référence.

  1. La surface oculaire, un miroir du corps et une nouvelle compréhension clinique
  2. Pourquoi les larmes deviennent inflammatoires et quels facteurs déclenchent la sécheresse oculaire
  3. Comment vos yeux se régénèrent et qu’est-ce qui fait vraiment changer la surface oculaire
  4. L’axe intestin–œil et comment une flore déséquilibrée peut déclencher des problèmes oculaires
  5. Ce que montrent réellement les études sur les compléments alimentaires et la santé oculaire
  6. Comment le film lacrymal, le microbiote et la vitamine A protègent vos yeux de la sécheresse
  7. Comment mettre en pratique la micronutrition pour traiter les maladies chroniques de la surface oculaire

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Auteur au sein du COG

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